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Les récentes représentations de l’Afrique dans les discours intellectuels, médiatiques et politiques ne semblent pas faire consensus. Deux grandes tendances se distinguent aisément : une première tendance qui s’inscrit dans un ordre du discours inauguré par les penseurs Afro-américains (Alain Locke, W.E.B. Du Bois, Hughes et Marcus Garvey, etc.) met en avant l’idée d’un éveil d’une identité noire et prône la réhabilitation d’un passé de dignité perverti par l’idéologie de l’esclavage et de la colonisation. Après la Négritude, cette tendance est reprise par la « Renaissance africaine » incarnée par le Monument de la Renaissance africaine érigé à Ouakam (Dakar/Sénégal) sous l’égide de l’ancien président Sénégalais Abdoulaye Wade. L’Afrique des origines et des grandes civilisations y est célébrée et les discours s’opposent à « la vulgate afro-pessimiste » (F. Sarr) où l’Afrique est le symbole par excellence de la famine, de la guerre, de la souffrance humaine et de l’arriération de la civilisation, en somme « le cœur des ténèbres » (Joseph Conrad) ou « une terre de soleil et de sommeil » (Ernst Psichari). Cette tendance est traversée par un contre-discours contre « la violence symbolique avec laquelle le destin de centaines de millions d’individus a été envisagé, traité, représenté, inscrit dans l’imaginaire collectif sur le mode de l’échec, du déficit, du handicap, voire de la déficience et de la tare congénitale, par les médias et une abondante littérature » (F. Sarr). La seconde tendance, qui ne s’oppose pas radicalement à la première mais envisage l’Afrique à partir d’une perspective différente, pointe la gestion du pouvoir politique après les indépendances insistant sur les liens subtils et profonds entre le système colonial et l’imaginaire postcolonial. Décrite par Achille Mbembe (De la Postcolonie), cette Afrique-là est l’objet du dernier ouvrage du socio-anthropologue Joseph Tonda Afrodystopie dans lequel l’auteur met l’accent sur les dehors et les dedans pittoresques des sociétés africaines paralysées par le « rêve d’autrui ». Ce que propose Tonda c’est un examen détaillé du « monstre et de la monstruosité dans l’imaginaire africain ». En soi, ces deux tendances ne sont pas nouvelles. Au contraire, elles attestent une continuité dans les représentations de l’Afrique depuis au moins le XVIIIe siècle. Toutefois, elles font émerger de nouvelles problématiques et des questionnements liés à notre époque. Ce colloque ne porte pas sur l’Afrique en soi, mais sur les représentations mythiques du continent africain que les Européens, les Afro-américains et surtout les Africains eux-mêmes ont forgé au fil des siècles. Les origines de la relation entre l’utopie et l’Afrique semblent remontées à cette période où circulent les configurations mythiques comme l’Eden et l’Eldorado, largement rattachés à la colonie. Pour Miller (1985), la transposition de cette perception euro-centrée de l’Afrique dans les images, les histoires et les mythes constitue le "discours africaniste" (Africanist discourse), qui se caractérise par une métaphore rêve/cauchemar itérative et permanente dans la description du continent africain. L’Afrique apparaît sous le signe de la colonie uniquement comme objet des discours soit sous la forme d’un conte de fées fascinant, de terres vierges et sauvages synonyme d’aventure et d’enrichissement personnel, soit sous la forme d’un lieu d’ensauvagement et de perte. L’Afrique est à la fois le lieu de projections d’imaginaire et un espace générateur d’alternatives sociétales même si, de l’avis de nombreux observateurs, « l’Afrique nourrit plus les projections apocalyptiques et dystopiques que les anticipations utopiques » (Azarian/Fendler/Mbaye). Dans les littératures et les arts, l’utopie prend souvent la forme d’une réversibilité de l’Histoire où l’Afrique prospère devient le centre économique et intellectuel du monde et par-dessus tout, le lieu d’émigration des Européens. Ce lieu de tous les possibles est décrit par A. Waberi (Aux Etats-Unis d’Afrique), L. Miano (Rouge impératrice), Nnedi Okorafor (The Shadow Speaker). Le monde du cinéma en est également concerné par l’exploration des mondes socio-culturelles imaginés et reconstruits avec des cinéastes tels que Sylvestre Amoussou (Africa Paradis), Jean-Pierre Bekolo (Les Saignantes), Neill Blomkamp (District 9), Wanuri Kahiu (Pumzi). L’univers radiophonique regroupe des noms comme Lauren Beukes (Is Science-Fiction Coming to Africa ?) et Soro Solo (L’Afrique déchaînée). D’autres formes artistiques utilisent aussi des codes attestant d’un imaginaire futuriste. En témoignent les travaux des photographes Trevor Stuurman, avec sa collaboration au Festival One Source Live baptisé « Téléportation vers l’Afrique » et du Sénégalais Alun Be avec « Edification ». A cette Afrique-là, s’oppose une autre, qui dès la fin des années 60 avec Yambo Ouologuem (Le devoir de violence) se présente comme une contre-utopie ou une non-utopie. L’afrodystopie s’impose comme mode de représentation de l’Afrique postcoloniale d’une littérature et d’un art de crise qui atteint son paroxysme à partir des années 80 et 90 notamment avec Sony Labou Tansi (La vie et demie, L’Etat honteux), Alioum Fantouré (Le récit du cirque de la vallée des morts), Henri Lopes (Le Pleurer-rire), Emmanuel Dongala (Johnny chien méchant, Photo de groupe au bord du fleuve). Comme l’a si bien démontré Joseph Tonda, l’afrodystopie se lit également dans la musique congolaise (Tabu Ley, Franco et le TP Ok Jazz, Pepe Kale, etc.). En se livrant à l’analyse des utopies et des dystopies africaines, on se voit emmené à prêter attention à l’Histoire et aux dynamiques culturelles, politiques et artistique du continent africain et de la diaspora africaine. Nous nous proposons d’étudier les formes, les discours et les modalités d’inscription des utopies et des dystopies africaines dans les représentations littéraires et artistiques. Le colloque cherche à exploiter la richesse du sens de ces utopies et dystopies africaines qui se dégage de la multiplicité des approches disciplinaires pour mieux explorer les contours critiques, la diversité des registres et la complexité des angles de perception.

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